LE MONDE A FAIM : QUE DIRE
? QUE FAIRE ?
[...] La flambée des prix
agricoles de 2008 a déclenché, au travers des
médias, plus compassionnels que jamais, une prise de
conscience du défi que va représenter pour l'humanité
le simple fait de se nourrir.
Dans un premier temps, on a voulu trouver des
responsables, montrer du doigt les affameurs de l'humanité
[...].
Marchés, biocarburants, climats, tout
ceci a joué mais la véritable explication n'est
pas là. En vérité nous payons aujourd'hui
vingt ans de négligence, vingt ans d'indifférence
vis-à-vis des problématiques agricoles. Au temps
de la troisième révolution industrielle et technologique,
qui se préoccupait encore de l'agriculture et de son
développement? En occident, on avait le pied sur le
frein : haro sur la productivité, sur l'intensification,
vive le découplage légal des terres, l'agriculture
douce voire " biologique " - la notion de bio est
suffisamment floue pour qu'on puisse la mettre à toutes
les sauces. Dans le tiers monde, c'était bien pire,
les institutions de Washington faisant tout leur possible
pour démanteler les politiques agricoles souvent encore
héritées de la colonisation. Seuls des pays
comme la Chine et surtout l'Inde eurent le courage politique
de résister à ce grand vent " libéral
" qui balaya la planète agricole au tournant du
siècle.
Voilà au fond la seule vraie explication
de la situation actuelle : le monde a faim aujourd'hui parce
qu'hier nous avons oublié de semer, nous avons laissé
mourir ou migré vers des villes bien peu accueillantes
trop de paysans, nous avons oublié que l'homme avait
besoin de manger avant de brancher son téléphone
portable
Mais que faire alors ? [...]
Au cur du problème alimentaire
de ce siècle, il reste bien l'homme, le paysan, celui
qui cultive la terre qu'il connaît, qu'il entretient
et enrichit. La majorité de la population du monde
est composée de paysans et nous les oublions, nous
les méprisons, nous les affamons même. L'heure
est venue de réinventer des politiques agricoles, de
rétablir le lien entre l'homme et le sol et puis, non
pas d'investir à coup de millions de dollars ou d'euros
dans des complexes agro-industriels irresponsables, mais de
mettre en place des politiques de prix et l'accompagnement
nécessaire à l'épanouissement d'une agriculture
familiale, ce qui représentera aussi des transferts
financiers non négligeables mais moins spectaculaires.
Le monde a faim, les prix flambent !Il ne sert à rien
de casser le thermomètre en pensant que le mercure
a tout faux. Il ne faut pas non plus penser que c'est simplement
l'affaire d'une mauvaise récolte et que l'excellente
campagne de 2008-2009 va tout faire oublier. Le problème
est plus grave car il nous parle de la faim de nos enfants
et de nos petits-enfants ; il nous parle bien du défi
majeur du XXIe siècle, un défi qui peut être
relevé -comme ce fût toujours le cas dans l'histoire
des hommes au grand dépit des malthusiens- mais qui
ne peut en aucun cas être négligé ou sous
estimé. C'était là le messages de ces
" émeutiers de la faim " qui passaient en
boucle sur nos écrans au printemps 2008. L'aide alimentaire
ne les a pas sauvés de leur misère et de la
cruauté de leur destin. Au moins sachons les écouter
!
Le monde a faim ! que ces mots peuvent paraître
incongrus en un monde d'abondance, en un temps où l'homme
semble avoir tout maitrisé du temps et de l'espace
: plus d'un milliard de téléphone portable mais
aussi presque un milliard de mal-nourris, de pauvres alimentaires
On est plus facilement enclin à raisonner
en termes d'objectifs moraux et de besoins spirituels : le
monde a faim de tant de choses, de sens de l'existence, de
solidarité entre les hommes, de foi en un avenir meilleur.
Alors la faim, toute bête, faut-il encore en parler
? [...]
Il y a bien une exception agricole : celle de l'homme sur
la terre, celle du temps de la planète ou de l'animal,
celle du subtil équilibre entre l' " ager ",
l'espace cultivé de l'agriculteur, et le " pagus
", l'ensemble de ce pays qu'entretient le paysan. Au
printemps 2008, la flambée des marchés mondiaux
nous a simplement rappelé que dans nombre de pays du
monde, cet équilibre était rompu. Les pieds
dans sa terre, la tête dans des marchés mondiaux
qui le dépassent, l'agriculteur de la Beauce ou du
delta du Bengale mérite mieux que l'indifférence
voire la négligence qui l'ont entouré depuis
une vingtaine d'années. Car c'est dans ses mains, beaucoup
plus que dans des solutions technologiques miracles, que se
trouvent les chances pour le monde de résoudre ce qui
sera sans contexte le défi majeur du XXIe siècle
: nourrir les hommes.
Le monde a faim ! Ecoutez-le
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Avec l'aimable accord de son auteur,
Le monde a faim, Philippe Chalmin - Bourin Editeur
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